mardi 13 janvier 2009

Le Hamas a-t-il été "irresponsable" ?


A Ramallah, le 5 janvier 2009, au cours d’une conférence de presse à la Moqata en présence de Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité palestinienne, Nicolas Sarkozy a déclaré avec une lourde insistance que : « le Hamas portait une lourde responsabilité dans la situation actuelle » et qu’il avait fait preuve « d’une irresponsabilité (...) impardonnable ».

On peut parfaitement ne pas partager les options politiques du Hamas sans pour autant oublier les réalités au point de les mépriser, ni tirer un trait sur l’enchaînement des faits depuis le début de la trêve entre Israël et le Hamas conclue sous l’égide de l’Egypte.

On peut être hostile aux options de ce mouvement sans pour autant faire preuve de cécité ou bien encore d’amnésie. Ces dernières sont particulièrement graves car elles sont destinées volontairement à déplacer le centre des responsabilités du drame que vit aujourd’hui la population gazaoui mais aussi les populations atteintes par les tirs de roquettes.

Il convient donc d’en revenir aux faits.

Le 17 juin 2008, une trêve de 6 mois était conclue entre le Hamas et Israël. Cette trêve avait un double objectif affiché : arrêter toutes les violences et permettre la levée du blocus insupportable qui transformait la bande de Gaza en prison à ciel ouvert mais aussi en mouroir pour sa population privée de tout.

Dès le lendemain de la trêve annoncée, Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères, s’en félicitait en déclarant que : « Cet accord devra se traduire sur le terrain. Il devra conduire à la cessation complète des violences et permettre l’amélioration de la situation humanitaire à Gaza par la réouverture dans les meilleurs délais des points de passage. »

Les choses étaient donc claires et certifiées exactes par le ministre français. Ce ne fut pas le cas du côté israélien, et cela aurait déjà du déjà alerter à tout le moins. Un responsable israélien déclarait en effet, le jour même de l’entrée en vigueur de la trêve, que :

« Les services secrets de [mon] pays doutent de la pérennité de la trêve et jugent inévitable le lancement d’une opération militaire terrestre de grande ampleur dans la bande de Gaza. » (Agence Reuters).

Cette trêve, dans sa dimension militaire, était globalement respectée, ainsi qu’en témoignaient les observateurs présents alors sur place. L’agence « Associated Presse », revenant sur l’enchaînement des faits précisait dans une dépêche publiés le 19 décembre dernier, que :

« La trêve conclue le 19 juin 2008 était relativement respectée.

Mais le calme précaire a été rompu par une incursion le 4 novembre dans la bande de Gaza de l’armée israélienne, qui a déclaré avoir détruit un tunnel devant être utilisé pour enlever des soldats israéliens. » Et s’agissant de la levée du blocus, partie intégrante de l’accord de trêve, la même agence « Associated Presse » poursuivait :

« Avant même que la trêve ne s’effondre, Israël n’autorisait pas la libre circulation des biens à l’entrée ou au sortir de la Bande de Gaza. » Les premiers à avoir rompu la trêve ce sont donc les autorités israéliennes lesquelles, par ailleurs, n’ont pas respecté le second volet majeur de cette trêve : la levée du blocus de Gaza. L’embargo n’étant pas non plus levé par l’Union européenne et des USA.

Les incursions israéliennes meurtrières sur Gaza jointes au maintien du blocus aboutissaient délibérément à ce que toutes les conditions étaient donc délibérément réunies pour provoquer la situation actuelle. Ceci d’autant plus que les élections législatives israéliennes approchaient qui voyaient Livni et Barak au plus bas dans les sondages à l’inverse de Benjamin Netanyahu qui promettait une politique de reprise de violences. Aujourd’hui il est vrai que cette tendance s’est inversée. Mais à quel prix.

Sans faire preuve d’aucun angélisme il est donc nécessaire en effet de poser la question : qui est irresponsable ? Sont clairement irresponsables ceux qui ont brisé la trêve le 4 novembre, c’est-à-dire les autorités israéliennes actuelles ! Et avec elles tous ceux qui n’ont rien dit ou fait contre. C’est le cas de la France et plus généralement de l’Union européenne et des USA.

Sont irresponsables ceux qui n’ont pas permis la levée du blocus. Ce sont encore les mêmes ! Et ils n’ont aucune « excuse ». Car dès le mois d’août 2008, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens, Richard Falk, posait une note substantielle sur la table de la Commission concernée des Nations unies. En autres choses, Richard Falk stigmatisait la situation à Gaza décrite comme une « punition collective » absolument contraire à la Quatrième Convention de Genève. Ils savaient tous.

Irresponsables, ils se sont tus et n’ont pas levé l’embargo/blocus. Et aujourd’hui après avoir couvert l’offensive aérienne israélienne ils peuvent bien demander, demander seulement et non pas imposer, un cessez-le-feu tant est grande la mobilisation populaire. Ils ne sont pas crédibles, et efficaces encore moins, puisque s’ils disposent de moyens pour se faire entendre ceux-ci ne sont absolument pas utilisés. En particulier l’Union européenne dispose de cette possibilité conforme au droit : la suspension de l’accord d’association dont l’activation est de son seul ressort. Au contraire de cela, l’Europe vient, en fin de présidence française, de « rehausser » ses relations avec Israël. En vérité les premiers irresponsables ce sont eux, clairement eux. Ils sont d’autant plus irresponsables qu’ils savaient et qu’ils n’ont rien fait. Ils sont irresponsables - et c’est un cas unique dans les annales onusiennes -, car Israël agit en toute impunité malgré ses violations systématiques du droit international.

Ajoutons que depuis plus de 40 Israël trouve toujours des « raisons » pour ne pas négocier. Dans le cas actuel, c’est clair.

Mais on pourrait poser un autre problème : si les tirs de Qassam avaient atteintes les colonies israéliennes situées cette fois en territoire palestinien, qu’aurait dit Israël ? Légitime défense des Palestiniens ? On imagine mal ce scénario. Les autorités israéliennes auraient trouvé un autre argument, toujours en leur faveur, pour frapper avec l’appui des puissances occidentales.

En ne disant pas la vérité sur l’origine de la situation ils en compliquent le règlement. De même que personne ne trouve à redire quand Israël, par la voie de Tzipi Livni, déclare « ne pas être intéressé par un cessez-le-feu. » Pas intéressé... alors que le Hamas propose une trêve durable subordonnée à la levée intégrale du blocus de Gaza. On pourrait mettre un terme à cette guerre mais Israël n’y est « pas intéressé »... Et Nicolas Sarkozy invite ce pays à « prendre le risque de la paix ». Le risque de la paix... La paix devenue un risque...

Ils sont bien irresponsables.

Et ils le sont aussi car ils peuvent bien parler aujourd’hui du nécessaire dialogue inter-palestinien, ils ont tout fait pour le casser après l’accord de La Mecque puisque pour eux le Hamas est un mouvement « terroriste » avec qui ils ne sauraient parler et Gaza « une entité ennemi » qu’il fallait à tout prix écraser.

Ils sont irresponsables car les négociations engagées après Annapolis n’ont pas permis de progresser d’un centimètre dans le règlement politique du problème. Ils avaient promis un Etat palestinien fin 2005. Rien ne s’est passé. Ils avaient promis un Etat palestinien fin 2008. Et c’est la guerre qu’ils ont provoquée laquelle ruine durablement toute possibilité de dialogue et d’un accord de paix. Tout le monde sait cela. Eux les premiers.

Ils sont complices et responsables de cette politique qui ne mène à rien d’autre qu’a plus de guerre, de souffrances et de haines. Et ce n’est pas le voyage du Président Sarkozy dans la région, aboutissant à ce qu’il demande à l’ONU de ne se presser pour adopter une résolution qui infirmera ce propos. Il faut une résolution contraignante pour mettre un terme aux massacres commis à Gaza qui sont autant de crimes de guerre, selon le droit international.

Ils sont bien irresponsables au sens exact du terme. Dans ces conditions, rétablir la vérité des faits est une condition à remplir pour que l’émotion prenne toute son ampleur et débouche sur des actes responsables. Cela fait très longtemps que nous n’avions pas connu pareille mobilisation sur le conflit du Proche-Orient. Il faut l’amplifier. Cela suppose d’éclaircir ces réalités qui contredisent la version officielle qui nous est servie, selon laquelle « le Hamas a rompu la trêve, il est donc normal qu’Israël réagisse ».

Cela concerne la situation immédiate à Gaza et l’incendie qu’il faut éteindre par un cessez-le-feu imposé. Mais cela va plus loin : si les peuples s’en mêlent les irresponsables qui nous gouvernent devront entendre raison sur le conflit de fond qui dure depuis plus de 40 ans, pour qu’il soit mis fin à l’occupation cause première de tout. Israël occupe aujourd’hui près de 90% de la Palestine historique. Il faut que ce pays « admette » que cette politique est absolument sans issue autre que meurtrière. Il faut que ce pays admette, une bonne fois pour toute, que son existence et sa sécurité passent par l’existence d’un Etat palestinien.


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